Il était une broussaille…

1er mars 2018

Un cochon, ça broutte - © [reporterre.net- />https://reporterre.net/Sur-le-Larzac-l-eleveur-de-porcs-au-naturel-voit-l-avenir-en-rose]
Un cochon, ça broutte - © reporterre.net

Éleveur de cochons, Nicolas Brahic est aussi inventeur d’une machine révolutionnaire : un sécateur géant pour couper la broussaille de buis qui a envahi le plateau du Larzac. Réduit en copeaux, le buis sert ainsi à nourrir les animaux, à chauffer les hommes et à fertiliser les sols.

Transcription d’extraits de l’émission radio Une journée particulière de Zoé Varier

Zoé Varier : Aujourd’hui je reçois Nicolas Brahic. Vous êtes éleveur de cochonnets… de petits cochons, forestier et inventeur d’une machine qui pourrait changer notre avenir. Vous avez choisi, Nicolas Brahic, comme journée particulière le 22 décembre 2009. Ce jour-là vous avez eu une révélation en vous promenant dans le Larzac. En 2009, vous étiez et vous êtes toujours éleveur de cochons.
Nicolas Brahic : À la suite de ma formation équestre j’ai proposé un projet d’élevage de cochons bio plein air en extensif.

Vous voulez qu’ils vivent librement dans la nature, vos cochons.
Oui. J’avais vraiment remarqué… le cochon n’était pas à sa place, c’est toujours une viande un petit peu rabaissée, comme quelque-chose de… d’un droit à la protéine et je me suis dit bon, voilà y’a peut-être quelque-chose à faire, est-ce que je peux apporter ma pierre ? Alors un grand-père éleveur de cochon en Lorraine aussi qui était vétérinaire porcin, qui a fait l’école de Rambouillet. Et puis un autre grand-père, du côté du papa celui-là, qui est boucher-charcutier à Uzès. Donc un lien fort à la viande qui a sauté une génération. Et donc un lien avec cet animal qui est très peu connu et malheureusement trop… mis dans des cases un petit peu…

Alors justement parlez moi des cochons, parce que vous les aimez vos cochons.
Ah oui ! Ils sont fantastiques. Ce sont des… on va dire ce sont des vrais compagnons de vie. Ils ont tous une attitude, un comportement extrêmement troublant. Quand vous regardez l’œil d’un cochon, vous captez l’intelligence. Un cochon adulte a l’intelligence d’un enfant de 8 ans. Donc vous vous rendez compte il peut résoudre des problèmes. Il peut vraiment…

Non, je ne me rends pas compte du tout justement. Ça veut dire quoi ? Pratiquement dans votre vie de tous les jours.
…J’ai une anecdote très rigolote. J’ai un cochon mâle adulte, à une certaine époque je cloisonnais encore plus mes parcelles, maintenant j’ai tous les ages mélangés, sur des grands espaces, avec des maisons, comme des yourtes, en cercle comme des petits villages. Et avant donc je séparais parce qu’on m’avait appris ça dans le cursus agricole. Et je me suis aperçu qu’il y a des cochons qui avaient compris que s’ils trouvaient des vieux morceaux de charrues ou des barres de fer et qu’ils posaient sur les fils, ils coupaient l’électricité pour passer de parc en parc. Mais à tel point que… donc un verrat, un mâle adulte, avait compris la technique et il avait sa barre de fer qu’il cachait dans les fourrés…

Non ?!
…Pour changer de parc, et il la récupérait et il recommençait donc c’est vraiment très troublant. Quand vous voyez ça, vous n’y croyait pas mais quand vous le voyez de vos yeux, vous vous dites là on est face à des animaux qu’on ne comprend pas et qu’on n’a pas cerné. C’est vraiment important de dire à… on va dire l’ensemble de la population, que cet animal mérite qu’on ait un peu plus d’attention et qu’on ne le considère pas uniquement comme un sac de protéines.

Et vous, vous avez de vraies relations avec vos cochons ?
Ah, oui, oui. Tous mes cochons mâles adultes ont le prénom d’un chef.

Ah, oui. Ça, ça me fait beaucoup rire. D’un grand chef hein ? D’un grand chef genre Ducasse, Bocuse… Mais ils répondent à leur prénom vos cochons ?
Oui, oui, bien-sûr. C’est ça qui est étonnant. Là, maintenant j’en ai un qui s’appelle Matthieu. Et en fait Matthieu connaît son prénom et quand il fait une bêtise, je le gronde, je l’appelle Matthieu, il sait que c’est lui. Comme un chien… il faut raisonner le cochon… même plus intelligent qu’un chien, y’a eu pas mal d’études… On est proche du dauphin…

Avec le cochon ?
Oui, oui, oui, on fait parti des animaux les plus intelligents sur notre planète.

Nicolas Brahic, vous avez donc choisi comme journée particulière le 22 décembre 2009. Ce jour-là vous avez eu une révélation en vous promenant dans le Larzac… Est-ce que vous pouvez me décrire le paysage dans lequel vous vivez ?
On est sur un Larzac certes ouvert, plein de cailloux et de ciel mais extrêmement broussaillé. Il y a eu 100 ans de non-utilisation de ces espaces et on a eu une nature qui a repris ses droits. Donc on est vraiment sur quelque-chose où on voit la trace de l’homme. Les murettes, on voit les terrasses. Et tout ça est recouvert par une épaisse densité de végétation. Et ça laisse un sentiment d’abandon vraiment comme si l’homme avait déserté cette zone et s’était un petit peu perdu dans autre chose. Alors qu’ici, il y a vraiment un sens.

Il y a du sens à vivre là…
Tout à fait, oui.

Alors le 22 décembre 2009, vous vous réveillez et là vous décidez d’aller vous promener.
Tout à fait et donc je suis allé sur une petite montagne qui fait presque 900 m et qui est couverte de buis. Et en marchant je me revois étendre les bras et toucher les buis, la cime des buis sous mes mains. Et je me suis arrêté et je me suis dit, « tout est là… tout est là ».

Et vous parliez de quoi en disant « tout est là ».
En fait j’ai eu ce sentiment d’avoir accès à, on va dire, à une information qui a été oubliée et d’être en quelque sorte éclairé, pour faire quelque-chose avec cette essence qui est sur le Larzac, sur plus de 80 % des surfaces. Et plus personne ne sait quoi faire. On est dans une situation particulière.

Mais alors ce jour-là, ce 22 décembre 2009, donc vous marchez, vous voyez ce buis, pourtant vous viviez dedans depuis déjà plusieurs années et c’est comme une révélation. C’est pour ça vous dites vous êtes comme éclairé. « Tout est là », c’est à dire que ce buis peut servir à autre chose ?
J’ai eu ce sentiment que le soleil… On va dire, envoyait le maximum d’énergie à cette plante et que cette plante pouvait restituer cette énergie. On avait un temps magnifique d’hiver… J’ai vu cette capacité de panneau solaire en fait. Et je me suis dit, quel est le chaînon manquant ?

Alors il faut dire, Nicolas Brahic, que juste avant d’aller vous promener, vous aviez lu un article que vous avait déposé un voisin. Un article sur Jean Pain, un inventeur et autodidacte qui avait découvert dans les années 70 une technique révolutionnaire de fabrication de compost à partir de broussailles.
[extrait sonore]

— Alors Jean Pain, après avoir broyé toutes ces broussailles, voici ce que vous obtenez. Qu’est-ce que c’est exactement ce mélange ?
— Il s’agit de broyé de broussailles destiné au compostage.
— Qu’est-ce que c’est le compostage ?
— Le compostage c’est humidifier une matière végétale au préalable broyée aux fins d’obtenir un engrais agricole.
— Et ça est-ce que c’est déjà un engrais naturel ?
— Pas encore. Il deviendra un engrais après avoir subit une phase, assez prolongée, de fermentation aérobie 1.
— Bien, ici nous sommes en Provence, on a broyé des broussailles de Provence, mais est-ce qu’on peut le faire, par ex., en Bretagne avec de la lande ou dans le nord de la France avec d’autres broussailles ?
— Bien entendu. Sous le vocable « broussaille », on sous-entend, tout végétal sauvage. Aux 4 coins du monde, sur l’ensemble de notre planète, tout végétal est de l’humus en puissance.
— Et là est-ce qu’on peut arriver à faire faire sur de grandes surfaces ?
— Oui, bien-sûr. On peut envisager cultiver, comme nous l’avons démontré sur de petites surfaces ici, des territoires désertiques et je pense à des contrées du monde qui sont parfaitement infertiles, nord-est du Brésil par ex., certains territoires africains…
— Donc en quelques sortes vous nous proposez une solution pour de très grands problèmes ?
— C’est une possibilité. Là par ex., derrière vous, vous pouvez constater une culture de riz démarrante. Il s’agit d’une variété de rizière. C’est à dire, qui, à l’heure qu’il est, devrait être sous 40 cm d’eau par ex. c’est une possibilité extraordinaire du compost de broussaille.
— Est-ce que ça coûte cher ?
— Non, justement pas. Le compost de broussaille, la broussaille, on en trouve partout sur notre planète. Il y a une possibilité extraordinaire, un potentiel énorme.

Et quand vous commencez à marcher ce 22 décembre, quand vous avez cette révélation, vous êtes en quelque sorte influencé par cette lecture de Jean Pain et par ce que vous avez lu sur le compost de broussaille. Vous parlez de technique oubliée, c’est ça qui se rappelle à vous.
C’est vraiment ça en fait. Je m’aperçois que malheureusement on aborde la broussaille comme quelque chose de néfaste, d’envahissant.

Oui, d’ailleurs le mot broussaille a une connotation… « ça sert à rien, quoi, à part nous embêter ».
Tout à fait, et bien, c’est le contraire. Et c’est là que c’est intéressant parce que si on se penche un tout petit peu sur la vie qui a été créée sur cette planète, nous avons 7 cm de la couche superficielle du sol qui génère plus de 90 % de la vie de cette planète et ça, ça a été oublié. Ce mot humus et ce qu’a dit Jean Pain sur la capacité à la broussaille à créer de l’humus, c’est ce lien qui nous manque dans notre transition actuelle. C’est à dire qu’en fait on a, même en France, les capacités de générer suffisamment de sol vivant pour relancer toute une activité oubliée, perdue et surtout de la vie dans nos vies. C’est vraiment essentiel de comprendre ça.
Par contre l’énergie de transfert de cette énergie forestière vers les sols, c’est là où il y avait quelque-chose à résoudre. Jean Pain a justement abordé ce rapprochement qu’il va falloir mettre plus d’énergie à constituer du broyat plutôt que de cultiver à proprement dit le sol. Et c’est là où il y quelque chose qui n’est pas transmit, c’est que l’humus vient de la forêt. Et c’est la forêt et le sous-bois forestier qui génère le plus de matière, sans toucher aux arbres.

Nicolas Brahic, vous êtes un amateur de science-fiction et vous comparez cette broussaille à l’Épice dans le roman de science-fiction Dune.
[extrait sonore]

Un commencement est un moment d’une délicatesse extrême… Sachez donc que l’on est en l’an 10 191.
À cette époque la plus précieuse substance de l’univers est l’Épice, le mélange. L’Épice accroît la longévité. L’Épice amplifie le champ de conscience. L’Épice est vitale aux voyages dans l’espace.
Ah oui, j’oubliais de vous dire : l’Épice n’existe que sur une seule planète dans tout l’univers. Désolée, aride, cette planète possède de vastes déserts. Cette planète c’est Arrakis, connue aussi sous le nom de Dune.

Oui, en fait ce film a, on va dire, m’a vraiment marqué dans une notion de compréhension globale d’une ressource. Et si on fait, si on remplace le mot Épice par Broussaille ou matière ligneuse, on s’aperçoit que oui, ça donne plus de sens, ça donne de la longévité …de vie, ça donne… de l’énergie. On arrive à… en fait lorsqu’on met en tas cette broussaille à chauffer des cuves. Toute ma ferme est autonome en chaleur et ⅓ de la broussaille française rendrait autonome l’ensemble des foyers français en chaleur.

On a du mal à y croire.
On a du mal à y croire et c’est bien le problème. Je pense que… moi ce qui m’a vraiment choqué dans cette approche, c’est qu’on m’a enlevé un héritage, on m’a interdit l’accès à cette notion. On a l’impression qu’au niveau énergétique ça appartient qu’à certains et que les ressources alimentaires et énergétiques sont gérées par des personnes qui sont découplées de la vie réelle. Alors que ça nous appartient à tous. Et je pense que cette initiative et ce que j’essaie d’apporter dans la continuité de ce qui a été fait avant c’est de rendre disponible ça et surtout de… au moins de le faire connaître. De se dire, oui, il y a une autre voie possible. Oui, l’énergie fossile est finie, mais la broussaille est quasiment infinie.
Lorsqu’on coupe une broussaille classique, elle met 7 ans à repousser mais vous n’avez rien fait pour qu’elle repousse. C’est la même notion que l’épice dans Dune. C’est à dire qu’en fait on a cette capacité sur cette belle planète, nous on est la planète Dune, à avoir une ressource infinie, disponible et qui n’attend que nous.
Cette broussaille c’est la clé, c’est elle qui va nous permettre de passer cette transition compliquée. Et elle est disponible partout sur cette planète. Et lorsqu’il n’y en a pas, on peut la capter, elle peut se déplacer par sa propre énergie.
Rendez-vous compte, le pétrole a une densité énergétique très importante mais il permet de déplacer du pétrole par sa propre énergie. Et la broussaille également. Si vous mettez un porte-container rempli de broussaille et vous mettez des moteurs à l’intérieur, ils vont entraîner l’hélice du bateau. C’est à dire que cette broussaille qui va composter va permettre de bouger par sa propre énergie, sans déperdition. C’est à dire que cette chaleur elle est disponible mais elle n’affaiblit pas les qualités intrinsèques du compost de broussaille pour créer du sol.
C’est à dire que la finalité c’est toujours de faire du sol vivant mais au passage on peut en faire plein de choses. C’est ça qui est fantastique.

Nicolas Brahic, quand vous revenez ce 22 décembre de votre balade dans la montagne, que vous revenez de cette révélation que vous avez eu en vous promenant, vous essayez tout de suite, c’est ça qui est formidable chez vous, vous essayez tout de suite de mettre en pratique. Et alors vous prenez une serpette et vous vous mettez à couper du buis.
Et là, ça se laisse pas faire du tout, hein ? Vous vous rendez compte que le buis avec votre petite serpette, en 30 mn vous arrachez rien du tout.

Voilà. Et je me dis, oulala ! Y’a un problème… Il va me falloir 15 vies, peut-être 20…

…Pour enlever cette broussaille.
Et oui… Et surtout que ça repousse. C’est à dire que l’idée qu’on voulait couper au ras du sol, ça repousse tout seul, hein, ce n’est pas pour éradiquer, c’est très important. Il faut raisonner ça comme une culture.

Vous voulez couper la broussaille pour en faire du compost, vous vous dites, ben c’est moi qui vais construire une machine. Qui fait quoi ?
C’est un sécateur qui va couper au ras du sol y compris dans les cailloux et va récolter… Comme une cueillette. En fait on fait de la cueillette de buis. Et une fois qu’on l’a dans la pince on va le mettre dans un broyeur qui lui va le ciseler en petits bouts avec un angle très particulier qui permet d’aérer, de faire des étages. Et ces étages vont permettre à ces petits champignons ligniphages de commencer à dégrader cette lignine pour la rendre disponible au sol. Faire en fait un habitat magique pour toute cette vie…

Vous avez mis combien de temps à la créer cette machine ?
Alors… J’ai démarré en 2009 …Commencé à être vraiment opérationnel en 2014.

Ouais, c’est ça, vous être pugnace, quoi, vous lâchez pas, quoi.
Oui et… Ça a fait peur, parce que quand vous allez voir, même des banquiers ou des investisseurs et que vous leur expliquez que vous allez créer quelque-chose qui n’existe pas, pour un produit qui ne se vend pas et qui n’existe pas sur un marché, on vous regarde un peu…

…Bizarrement ! On vous a pris pour un doux-dingue, non ? Genre, j’ai eu une révélation dans le Larzac en voyant le soleil sur le buis.
C’est ça.

Un peu fêlé…
Oui, je pense, oui… Mais c’est ça qui est intéressant, je pense que c’est… maintenant on va commencer à se dire, c’est pas si bête que ça.

Ah ça j’en suis sûre, c’est pour ça que vous êtes là. Mais est-ce que personne, Nicolas Brahic, n’a compris que si vous aviez eu l’idée d’inventer cette machine un peu bizarre, cette espèce de grand bras qui n’est pas un grand bras comme les autres, c’est parce que vous étiez un geek ? Un joueur ? Un grand joueur d’un jeu que vous aimez passionnément qui s’appelle World
World of Warcraft, oui. En fait y’a un lien entre la gestion de la ferme et ce, on va dire, ce type de jeu de plateau.
[extrait sonore]

Nous n’avions que faire des anciennes prophéties. Fous que nous étions, nous n’avons cessé de nous haïr. Et depuis toujours nous n’avons cessé de nous battre. Jusqu’au jour où une pluie de feu s’est abattue sur nous et qu’un nouvel ennemi a surgit. Nous sommes à présent au seuil de la destruction car le règne du chaos est annoncé.

Vous hochez la tête, Nicolas Brahic, en écoutant cet extrait de World of Warcraft. Qu’est-ce qui vous fait hocher la tête ?
Ben écoutez, j’ai cette chance d’être accompagné par des gens d’exception comme Philippe Desgrosse, Claude et Lydia Bourguignon, Pierre Rabhi… Et lorsqu’on discute, moi je suis le jeune qui amène… on va dire l’espoir mais je m’aperçois aussi que… on est allé trop loin, vraiment. On se doit, maintenant, de prendre les clés et malheureusement la COP 21 nous l’a démontré, ce n’est pas assez. C’est à dire que ça doit venir de nous. Ça va pas venir d’institutions…

On est allé trop loin dans quoi, Nicolas ?
En fait on a détruit ce qui nous rendait vivant : les sols, c’est vraiment… c’est la flamme, c’est la petite étincelle que vous avez au fond de vous. Si vous mangez uniquement des aliments qui poussent sur la mousse avec des produits, ça va pas être possible. Donc si on ne prend pas ça vraiment au sérieux aujourd’hui, il va se passer la période du chaos.

…comme le disait World of Warcraft
Voilà.

Mais excusez-moi, parce que je ne suis pas du tout une geek. Expliquez-moi en quoi ces jeux, ce jeu, vous a aidé ? Vous a inspiré ?
En fait j’ai réussi à recréer mon jeu et qui va aider j’espère des générations futures et qui est en plus vraiment ludique, amusant. Il faut bien comprendre que ce n’est pas un bagne. Lorsque vous prenez votre vie en main, du bon côté, que vous allez « avec » , tout est plus facile, tout est plus beau et vous vous levez le matin avec le sourire. C’est à dire que travailler 15, 16 heures par jour, ce n’est rien. Ce n’est plus du travail, c’est de l’amusement. En fait, je joue toute la journée.

Vous jouez toute la journée à créer du compost de broussaille, c’est ça ? Avec le buis qui vous permet de, et nourrir vos cochons, et de pouvoir être chauffé chez vous totalement, c’est ça ?
On va très loin dans la transformation. On élève des larves qui vont manger ce broyat, qui ont créé de la nourriture complète : lipides, glucides, vitamines…

…Pour les cochons ?
Oui pour les cochons, à partir de la broussaille, c’est à dire qu’on créer de la protéine ou un aliment complet à partir du bois. Ça, ça n’a jamais été fait. Et en fait on va de plus en plus loin dans les ateliers et tout ça avec cette idée de reproductibilité. Et l’idée aussi, de peut-être faire un centre agro-écologique pour expliquer tout ça. Pour diffuser, pour essayer de faire comprendre et de reproduire à d’autres échelles sur l’ensemble du globe.

De faire comprendre que le buis ou la broussaille ça pourrait être le pétrole de demain.
Tout à fait, toute broussaille. C’est ce qu’à dit Jean Pain. On a cette chance sur cette planète, il y a beaucoup de zones où il y a trop de broussaille. On peut la mutualiser et puis l’utiliser à bon escient y compris sur des zones semi-désertiques pour recréer de la vie.

Pour ressusciter les terres mortes.
Et en fait on replante de la broussaille avec ce broyat. En fait on va pas planter des légumes. On va d’abord créer une zone de broussaille qui va générer de la matière pour refaire des légumes. Un petit peu l’utopie de refaire des forêts mais par la broussaille.

Et là, vous recréez du sol vivant c’est ça ? Vous redonnez de la vie au sol.
J’ai cette chance d’être accompagné par des grands domaines de champagne qui eux aussi se posent ces questions sur le goût et ainsi de suite et ils utilisent cette broussaille pour…

…Ce compost de broussaille…
…Pour générer un raisin de très grande qualité organoleptique, c’est vraiment, c’est la clé. Plus vous avez un sol vivant, plus ce qui pousse dessus est plein de vie et est au maximum des capacités génétique de la plante.

D’accord, donc c’est ça qu’il faut retenir. C’est que ça permet au sol de redevenir vivant.
Tout à fait.

Et c’est pour ça que vous êtes soutenu par Claude et Lydia Bourguignon.
Tout à fait.

Qui n’ont pas cessé d’alerter la planète depuis 40 ans sur l’appauvrissement de nos sols.
[extrait sonore]

On n’a pas de sol sur les autres planètes qui nous entourent. Des véhicules spatiaux qui ont été étudiés des planètes du système solaire, on trouve de l’eau, on trouve de l’atmosphère, mais y’a qu’une seule qui a un sol, c’est notre planète. Et c’est là qu’on voit que les anciens ont eu une approche assez remarquable, ils ont appelé notre planète la Terre. Et ils ont parfaitement raison parce qu’à cette époque ils avaient une approche qualitative des choses. S’ils avaient une approche quantitative comme nous, ils auraient appelé notre planète la Mer, puisque 70 % de notre planète est couverte d’eau. Et ils l’ont appelé la Terre et ils ont eu raison, c’est La caractéristique de cette planète.
C’est donc un milieu tout à fait extraordinaire qui part de 2 milieux tellement différents : le monde organique, qui est surtout formé de carbone et le monde des roches, surtout formé de silice et ils trouvent le moyen de s’attacher ensemble pour former ce milieu unique au monde qui est le sol.
Quand vous avez une poignée de terre dans la main, vous avez des milliards de microbes dans la main. C’est aussi riche que votre intestin comme milieu.
La vie existe depuis 3 milliards d’années parce qu’elle a inventé une chose remarquable, elle recycle tout ce qui la traverse. Si elle n’avait pas inventé ça, la Terre se serait couverte d’une couche d’excréments et la vie se serait arrêtée. Mais la vie recycle tout et le monde de ces microbes dans le sol reprennent les substances, les remettent assimilables aux plantes. Les plantes vont refaire des feuilles avec, ces feuilles vont retomber, vont redonner de l’humus, etc. C’est un cycle qui dure depuis 3 milliards d’années. 2

C’est Claude Bourguignon qu’on vient d’entendre qui est un ingénieur agronome français, avec sa femme ils étaient tous les 2 des anciens de l’INRA et ils ont fondé un laboratoire indépendant d’analyse des sols. C’est une archive qui date de 1994 donc ça fait plus de 40 ans 3 que les Bourguignon s’échinent à dire le danger qui nous pend au nez. Ils ne sont pas entendus. Est-ce que vous, on vous entend ?
Alors moi, je pense que j’ai un angle d’attaque un peu différent, je suis un promoteur du goût, de l’excellence du goût. Et ça, ça intéresse beaucoup de gens.

Oui, c’est à dire le cochon, le champagne…
Tout à fait. Et en fait par le goût c’est comme ça qu’on va réussir à capter l’attention des gens. Il faut capter l’attention. Un sol vivant c’est pas très glamour, ça parle pas beaucoup, y’a des bébêtes dedans, ça grouille, c’est pas très… on marche dessus, enfin bref. Mais si on dit, écoute, si tu as un sol vivant, tu vas manger une tomate, mais tu vas t’en rappeler toute ta vie…

En fait vous nous appelez à récolter la broussaille.
Je pense que c’est vraiment un appel, oui.

Alors je vais tirer les fils de cette année 2009… Donc cette année où vous avez eu votre révélation, le Mexique est victime d’une épidémie humaine de grippe porcine. Le virus H1N1 contaminera la plupart des pays du monde.
[extrait sonore]

Perdu dans les montagnes caillouteuses de l’état de Vera Cruz, à 300 km de Mexico, le village de toutes les rumeurs : La Gloria. Certains habitants racontent que la grippe porcine est née ici. Pour preuve, ce petit garçon aujourd’hui rétabli, frappé par le virus, analyses à l’appui. J’ai eu mal à la gorge et aux poumons, dit-il. À l’origine des rumeurs, ces gigantesques porcheries toutes proches du village. Impossible d’entrer, les grilles sont verrouillées, les travailleurs s’éloignent.
Federico, un habitant de La Gloria nous accompagne, un gardien méfiant relève son identité. « Je pense que les mauvaises odeurs qui sortent de cet endroit ne peuvent pas être absorbées par le corps humain. Autrefois les gens se portaient bien ».
Plus loin, à l’abri des regards, on peut voir ça : des carcasses de porcs pourries, un manque d’hygiène évident.

…Voilà l’exemple des dérives du système industriel. On est allé au bout. On est allé au bout d’une chose qui est malheureusement, de plus en plus décriée, mais encore cautionnée. Ça parait logique à tous ces consommateurs d’avoir un droit d’accès à la protéine. Le jambon blanc est un droit, alors que c’est plutôt, on va dire, voter pour un système qui est malheureusement, à tout échelles, néfaste. Pour l’environnement, pour l’éleveur, pour les animaux…

…et pour nous…
Pour votre santé, il est dramatique. Il faut tout simplement ne pas partir dans les extrêmes. Manger de la viande, nous sommes des omnivores, il faut juste en manger moins, de meilleure qualité et savoir d’où elle vient. Alors, on est à Paris, on est dans une grande ville, c’est compliqué, je peux comprendre. Mais il y a maintenant des capacités de se pencher ne serait-ce qu’une demi-heure par semaine là-dessus. Se faire livrer par des systèmes fantastiques… Moi j’accompagne deux jeunes filles qui ont des idées comme Terroir mon amour qui permettent à des consommateurs d’accéder à des produits comme moi qui sont normalement très durs à atteindre. Mais mettre un peu plus d’attention là-dessus et moins cautionner cette barquette industrielle en solde, hein, il faut arriver à comprendre ça. Votre vie va mieux se porter et vous, vous allez avoir aussi quelque part un sourire lorsque vous verrez ces dénonciations en masse parce qu’il va y avoir des gros problèmes sur les systèmes d’élevages industriels.

Y’a d’autres scandales… Là, y’a le lait Lactalis, enfin ça n’arrête pas.
Tout à fait. Et se sortir un petit peu de ce système sans le subir c’est important et c’est faisable. C’est à dire que, je comprends qu’avant c’était la facilité mais maintenant ça devient faisable.

Donc il faut le faire.
Oui. Et vous allez aider de belles initiatives.
On est absolument pas là pour détériorer un biotope, au contraire, on est là pour qu’il s’exprime encore mieux et qu’il explose de vie. Depuis que je débroussaille, on a de plus en plus d’oiseaux, de plus en plus d’animaux. On a une vie qui explose. On laisse toujours des berceaux intouchés où il y a le biotope spécifique des milieux fermés. Mais on ouvre aussi d’autres milieux.
On va peut-être trouver d’autres solutions, mais on parle beaucoup des algues, de cultures, d’éolien, de transition. La broussaille c’est quelque-chose qui n’est jamais évoqué et qui est bien plus présent sur cette planète. Y’a plus de broussailles que d’algues. Enfin, y’a beaucoup d’algues en littoral, mais si on utilise toute la broussaille à l’intérieur des terres, on a beaucoup, beaucoup à faire.

Merci Nicolas Brahic d’avoir passé ce début de dimanche après-midi avec nous, merci beaucoup. Sur le site de l’émission vous trouverez le lien vers votre site à vous, Nicolas Brahic, vous trouverez aussi plus d’informations sur les méthodes Jean Pain, le compost de broussaille, enfin bref, des tas d’infos…

Une journée particulière c’est tous les dimanches sur France Inter, pendant une heure, un invité revient sur un jour important de sa vie. Là où se croise une histoire individuelle et l’histoire collective.

La transcription complète est téléchargeable en bas de page

Sur le web : Une journée particulière


1 : En contact avec l’oxygène

2 : Personnellement, je dirais plutôt + de 13 milliards d’années : c’est le principe énoncé par Lavoisier « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. » qui régit les lois fondamentales de l’univers, comme nous l’a si joliment expliqué Hubert Reeves dans son livre Poussières d’étoiles

3 : Doit y avoir un erreur… peut-être 20 ans ou 1974 ?